La Semaine sainte représente l’un des phénomènes religieux les plus fascinants de l’histoire chrétienne, transcendant les frontières géographiques et culturelles pour devenir un élément central de la foi et des traditions populaires. Cette période liturgique exceptionnelle, qui commémore la Passion, la mort et la résurrection du Christ, s’est progressivement enracinée dans les pratiques religieuses au cours de près de deux millénaires. Son évolution témoigne d’une remarquable capacité d’adaptation aux contextes historiques, sociaux et culturels successifs, tout en préservant son essence spirituelle fondamentale.

L’histoire de la Semaine sainte révèle comment les traditions liturgiques primitives se sont transformées en célébrations complexes, intégrant des éléments théâtraux, dévotionnels et populaires. Cette transformation ne s’est pas opérée de manière uniforme, mais selon des rythmes et des modalités variables selon les régions et les époques. De Jérusalem aux cathédrales gothiques, des monastères carolingiens aux processions baroques, chaque période a apporté sa contribution spécifique à l’édification de ce patrimoine liturgique exceptionnel.

Origines liturgiques de la semaine sainte dans le christianisme primitif à jérusalem

Les fondements de la Semaine sainte plongent leurs racines dans les pratiques liturgiques du christianisme primitif, particulièrement à Jérusalem où les premiers chrétiens ont commencé à commémorer les événements de la Passion sur les lieux mêmes où ils se sont déroulés. Cette géographie sacrée a profondément influencé le développement des rites pascaux, créant un modèle qui rayonnera progressivement vers l’ensemble du monde chrétien.

Développement des rites commémoratifs dans la basilique du Saint-Sépulcre au IVe siècle

L’empereur Constantin et sa mère Hélène ont révolutionné la pratique liturgique chrétienne en faisant édifier la basilique du Saint-Sépulcre vers 335. Ce complexe architectural grandiose, construit sur les lieux présumés de la crucifixion et de la résurrection du Christ, est devenu le théâtre de célébrations liturgiques d’une ampleur inédite . Les rites qui s’y sont développés combinaient la solennité impériale avec l’authenticité des lieux saints, créant un modèle liturgique qui influencera durablement l’Église universelle.

La basilique constantinienne permettait des processions liturgiques spectaculaires, reliant différents lieux de mémoire dans un parcours symbolique de la Passion. Ces célébrations intégraient déjà des éléments dramatiques, avec des lectures évangéliques adaptées aux différents espaces sacrés et des rites spécifiques pour chaque étape de la Semaine sainte. L’architecture elle-même servait de support à une pédagogie religieuse innovante, transformant l’espace en véritable livre d’images pour les fidèles.

Témoignage d’égérie sur les célébrations pascales hiérosolymitaines

Le récit d’Égérie, pèlerine probablement originaire de Galice ou d’Aquitaine, constitue le premier témoignage détaillé des célébrations pascales à Jérusalem vers 380-385. Son Itinerarium offre une description minutieuse des rites de la Semaine sainte, révélant leur complexité et leur richesse symbolique. Ces célébrations s’étendaient sur huit jours, du dimanche des Rameaux au dimanche de Pâques, avec des offices quotidiens dans différents sanctuaires de la ville sainte.

Égérie décrit notamment la procession du dimanche des Rameaux, qui partait du mont des Oliviers pour rejoindre la basilique du Saint-Sépulcre, reproduisant l’entrée triomphale du Christ à Jérusalem. Cette reconstitution historique, mêlant liturgie et théâtralité, préfigure les développements ultérieurs des célébrations pascales occidentales. Le témoignage révèle également l’importance accordée à la participation populaire, avec des foules considérables accompagnant les processions et participant aux offices nocturnes.

Influence des pèlerinages constantiniens sur la codification liturgique

L’essor des pèlerinages à Jérusalem après la reconnaissance du christianisme par Constantin a considérablement accéléré la codification et la diffusion des rites pascaux. Les pèlerins, venus de toutes les provinces de l’Empire, découvraient à Jérusalem des pratiques liturgiques inédites qu’ils rapportaient ensuite dans leurs Églises locales. Cette circulation des usages liturgiques a créé un phénomène de standardisation progressive des célébrations pascales, tout en permettant des adaptations locales.

Les évêques orientaux ont joué un rôle crucial dans cette diffusion, codifiant les rites hiérosolymitains dans des recueils liturgiques qui circulaient dans l’ensemble de l’Église orientale. Ces documents normatifs ont servi de référence pour l’organisation des célébrations pascales dans les grands centres urbains de l’Orient chrétien, créant un réseau de pratiques liturgiques cohérentes malgré les distances géographiques.

Transmission des usages palestiniens vers l’occident par les voyageurs monastiques

Les moines pèlerins ont constitué le principal vecteur de transmission des usages palestiniens vers l’Occident latin. Ces voyageurs spirituels, particulièrement nombreux aux Ve et VIe siècles, rapportaient non seulement des récits de leurs expériences hiérosolymitaines, mais aussi des copies de textes liturgiques et des descriptions détaillées des cérémonies pascales. Leur formation monastique leur donnait la capacité d’analyser et de reproduire fidèlement les pratiques liturgiques orientales.

Les monastères occidentaux sont ainsi devenus des laboratoires d’adaptation des rites palestiniens aux contextes locaux. Cette acculturation liturgique s’est opérée progressivement, intégrant les traditions locales préexistantes tout en préservant les éléments essentiels des célébrations hiérosolymitaines. Ce processus créatif a donné naissance à des synthèses liturgiques originales, marquées par la diversité régionale tout en maintenant une unité fondamentale dans la structure des célébrations pascales.

Evolution des rites liturgiques occidentaux de la semaine sainte sous l’empire carolingien

L’avènement de la dynastie carolingienne marque une étape décisive dans l’évolution des rites liturgiques occidentaux de la Semaine sainte. Charlemagne et ses successeurs ont entrepris une vaste réforme liturgique visant à unifier les pratiques religieuses de l’Empire, tout en enrichissant considérablement le contenu cérémoniel des célébrations pascales. Cette période charnière a vu naître des innovations liturgiques durables qui caractérisent encore aujourd’hui les célébrations de la Semaine sainte en Occident.

Réformes liturgiques de charlemagne et l’unification des pratiques franques

Les réformes liturgiques de Charlemagne s’inscrivaient dans un projet politique plus vaste de renovatio imperii , visant à restaurer la grandeur de l’Empire romain d’Occident. L’empereur franc a mandaté ses conseillers ecclésiastiques, notamment Alcuin d’York et Benoît d’Aniane, pour harmoniser les pratiques liturgiques disparates qui coexistaient dans son empire. Cette unification concernait particulièrement les célébrations de la Semaine sainte, considérées comme le sommet de l’année liturgique.

La réforme carolingienne a privilégié le rite romain, tout en intégrant certains éléments des traditions liturgiques franques et wisigothiques. Cette synthèse créatrice a donné naissance au rite romano-franc, qui deviendra progressivement la norme liturgique de l’Occident chrétien. Les célébrations pascales se sont ainsi enrichies de nouveaux chants, de nouvelles prières et de rites cérémoniels plus élaborés, reflétant la grandeur impériale et la profondeur théologique de l’époque carolingienne.

Codification du triduum pascal dans les sacramentaires gélasiens

Les sacramentaires gélasiens, rédigés entre le VIIe et le VIIIe siècle, constituent les premiers témoins de la codification systématique du Triduum pascal en Occident. Ces livres liturgiques rassemblent l’ensemble des prières présidentielles nécessaires à la célébration des offices de la Semaine sainte, depuis les oraisons du dimanche des Rameaux jusqu’aux préfaces pascales. Leur diffusion dans l’Empire carolingien a permis une standardisation remarquable des célébrations pascales.

La structure tripartite du Triduum pascal – Jeudi saint, Vendredi saint et Vigile pascale – se fixe définitivement dans ces recueils liturgiques. Chaque jour reçoit ses formulaires propres, avec des prières spécifiques qui soulignent la progression dramatique de la Passion vers la Résurrection. Cette organisation liturgique témoigne d’une maturité théologique remarquable, intégrant les apports de la patristique orientale et occidentale dans une synthèse cohérente.

Développement de la dramatisation liturgique dans les monastères bénédictins

Les monastères bénédictins ont joué un rôle pionnier dans le développement de la dramatisation liturgique des célébrations pascales. Cette innovation pédagogique visait à rendre plus accessible le mystère de la Passion aux communautés monastiques et aux fidèles illettrés. Les premiers tropes dramatiques, insertions musicales et textuelles dans la liturgie officielle, apparaissent dès le IXe siècle dans les grands centres monastiques carolingiens.

Ces expérimentations liturgiques ont progressivement donné naissance à de véritables drames sacrés, particulièrement développés pour les célébrations pascales. Le Quem quaeritis , dialogue dramatisé entre les saintes femmes et l’ange au tombeau, représente l’archétype de cette dramatisation liturgique. Ces innovations monastiques préfigurent les développements ultérieurs du théâtre religieux médiéval, démontrant la créativité liturgique de l’époque carolingienne.

Apparition des processions des rameaux à partir de l’abbaye de Saint-Gall

L’abbaye de Saint-Gall, en Suisse actuelle, a développé au IXe siècle des processions du dimanche des Rameaux d’une richesse ceremonielle exceptionnelle. Ces célébrations combinaient la tradition hiérosolymitaine de la procession avec des innovations liturgiques spécifiquement occidentales. La procession partait de l’église abbatiale pour se rendre dans une chapelle extérieure, reproduisant symboliquement le trajet du mont des Oliviers à Jérusalem.

Ces processions saint-galloises ont servi de modèle pour le développement des célébrations des Rameaux dans l’ensemble de l’Empire carolingien. Elles intégraient des éléments spectaculaires, comme la bénédiction solennelle des rameaux et le chant des acclamations christologiques, créant un véritable théâtre liturgique en plein air. Cette tradition processionnelle s’est rapidement diffusée dans les cathédrales et les monastères européens, donnant naissance à des variantes locales remarquables.

Transformations gothiques et scholastiques des célébrations de la passion

L’époque gothique et scholastique (XIIe-XIVe siècles) marque une transformation profonde des célébrations de la Semaine sainte, caractérisée par une sophistication théologique accrue et un renouvellement des formes d’expression artistique et liturgique. Cette période voit naître une spiritualité passionnelle particulièrement intense, nourrie par les développements de la théologie scholastique et la renaissance urbaine qui favorise de nouvelles formes de piété collective.

Les cathédrales gothiques offrent un cadre architectural révolutionnaire pour les célébrations pascales, permettant des jeux de lumière spectaculaires et des processions d’une ampleur inédite. L’art gothique transforme l’espace liturgique en véritable livre de pierre, où chaque sculpture, chaque verrière raconte l’histoire de la Passion. Cette pédagogie visuelle révolutionne la perception populaire des mystères pascaux, créant une immersion spirituelle sans précédent.

La théologie scholastique, particulièrement celle de Thomas d’Aquin et de Bonaventure, approfondit considérablement la compréhension théologique de la Passion. Ces développements doctrinaux influencent directement les textes liturgiques de la Semaine sainte, qui s’enrichissent de nouvelles séquences, de nouveaux répons et de prières d’une profondeur théologique remarquable. La Summa Theologica de Thomas d’Aquin consacre des développements importants aux mystères pascaux, influençant durablement la spiritualité de la Semaine sainte.

Les universités naissantes contribuent également à cette évolution en formant un clergé plus instruit, capable de prêcher efficacement sur les mystères de la Passion. Les sermons de la Semaine sainte deviennent plus sophistiqués, intégrant les apports de la rhétorique antique et de la dialectique scholastique. Cette élévation du niveau théologique se répercute sur l’ensemble des célébrations pascales, qui gagnent en profondeur spirituelle et en cohérence doctrinale.

L’architecture gothique transforme les célébrations pascales en véritables spectacles de lumière divine, où chaque rayon de soleil filtrant par les verrières évoque la résurrection du Christ.

Institutionnalisation des confréries de pénitents et des processions urbaines

L’émergence des confréries de pénitents aux XIIIe et XIVe siècles révolutionne les pratiques dévotionnelles de la Semaine sainte en Europe occidentale. Ces associations laïques, placées sous la protection d’un ordre religieux ou du clergé séculier, développent des formes de piété populaire centrées sur la méditation de la Passion du Christ. Leur influence s’avère déterminante dans la transformation des célébrations pascales urbaines, créant de nouvelles traditions qui perdurent encore aujourd’hui.

Confréries de disciplinants en italie centrale aux XIIIe-XIVe siècles

L’Italie centrale voit naître au XIIIe siècle un mouvement de pénitence collective d’une intensité remarquable, incarné par les confré

ries de disciplinants dont les Flagellants représentent l’expression la plus radicale. Ces mouvements naissent dans un contexte de crise spirituelle et sociale, marqué par les famines, les épidémies et les conflits politiques qui ravagent la péninsule. Les confréries de disciplinants développent des pratiques dévotionnelles spectaculaires durant la Semaine sainte, mêlant mortifications corporelles, processions nocturnes et chants pénitentiels d’une intensité dramatique saisissante.

À Pérouse, Assise et Florence, ces confréries organisent des processions de la Semaine sainte qui mobilisent l’ensemble de la population urbaine. Les confrères, vêtus de tuniques blanches ou noires selon leur statut, parcourent les rues en se flagellant publiquement, recréant symboliquement les souffrances du Christ. Ces démonstrations de piété expiatoire transforment l’espace urbain en théâtre de la Passion, où chaque rue, chaque place devient le cadre d’une méditation collective sur la Rédemption.

L’influence des prêches de saint Bernardin de Sienne et des franciscains observants amplifie considérablement l’impact de ces confréries sur la spiritualité populaire. Les sermons passionnels de la Semaine sainte deviennent de véritables événements urbains, rassemblant des foules considérables sur les places publiques. Cette prédication populaire contribue à l’enracinement profond des dévotions passionnelles dans la culture urbaine italienne, créant des traditions qui se perpétuent encore aujourd’hui dans certaines villes de la péninsule.

Processions de la sanch à perpignan et traditions catalanes

La Catalogne développe au XIVe siècle des traditions processionnelles particulièrement élaborées, dont les processions de la Sanch de Perpignan constituent l’exemple le plus remarquable. Ces célébrations, organisées par la confrérie de la Vraie Croix du Sang du Christ, fondée en 1416, mêlent les influences ibériques et françaises dans une synthèse liturgique originale. La procession du Vendredi saint de Perpignan devient rapidement un modèle pour l’ensemble des pays catalans, influençant les pratiques dévotionnelles jusqu’en Sardaigne et en Sicile.

Les pénitents de la Sanch développent une iconographie processionnelle d’une richesse exceptionnelle, avec des statues articulées représentant les scènes de la Passion. Ces « mystères » ambulants transforment la procession en véritable catéchèse visuelle, permettant aux fidèles illettrés de suivre chronologiquement les étapes du chemin de croix. L’art gothique catalan trouve dans ces célébrations un terrain d’expression privilégié, produisant des œuvres d’orfèvrerie et de sculpture d’une qualité remarquable.

La tradition perpignanaise influence profondément le développement des processions pascales dans l’ensemble de l’aire méditerranéenne. Les échanges commerciaux et culturels de la couronne d’Aragon favorisent la diffusion de ces pratiques dévotionnelles vers l’Italie du Sud, la Sardaigne et même l’Afrique du Nord. Cette circulation des traditions processionnelles contribue à l’émergence d’un style méditerranéen de célébration de la Semaine sainte, caractérisé par la théâtralité et l’intensité émotionnelle des célébrations.

Développement des mystères de la passion dans les villes flamandes

Les Flandres voient naître aux XIVe et XVe siècles une tradition théâtrale religieuse d’une sophistication remarquable, centrée sur les représentations des mystères de la Passion durant la Semaine sainte. Ces spectacles, organisés par les corporations d’artisans et les confréries urbaines, transforment les places publiques de Bruges, Gand et Ypres en véritables théâtres sacrés. La prospérité économique des villes flamandes permet le financement de productions d’une ampleur considérable, mobilisant parfois plusieurs centaines d’acteurs et figurants.

Les mystères flamands se distinguent par leur réalisme dramatique et leur attention minutieuse aux détails historiques et liturgiques. Les textes, souvent rédigés en dialectes locaux, mêlent les sources évangéliques aux apocryphes passionnels médiévaux, créant des récits d’une profondeur psychologique remarquable. Ces représentations influencent considérablement l’art flamand de l’époque, comme en témoignent les retables de la Passion de Van der Weyden et Van Eyck.

L’organisation des mystères flamands révèle une implication remarquable des élites urbaines dans les célébrations pascales. Les échevins financent les décors et les costumes, tandis que les corporations rivalisent dans la magnificence de leurs contributions. Cette émulation urbaine transforme les célébrations de la Semaine sainte en véritables festivals culturels, attirant des visiteurs de toute l’Europe du Nord et contribuant au rayonnement artistique des villes flamandes.

Rôle des ordres mendiants dans la popularisation des dévotions passionnelles

Les ordres mendiants – franciscains, dominicains, carmes et augustins – jouent un rôle déterminant dans la transformation et la popularisation des dévotions passionnelles aux XIIIe et XIVe siècles. Leur apostolat urbain et leur proximité avec les populations laïques leur permettent de développer des formes de spiritualité accessibles aux fidèles ordinaires. Les couvents mendiants deviennent des laboratoires d’innovation liturgique, expérimentant de nouvelles formes de célébration de la Semaine sainte adaptées à la sensibilité urbaine de l’époque.

Les franciscains développent particulièrement la dévotion au chemin de croix, systématisant les quatorze stations traditionnelles et promouvant cette pratique dans l’ensemble de la chrétienté occidentale. Saint Bonaventure rédige des méditations passionnelles qui influencent durablement la spiritualité de la Semaine sainte, mêlant théologie mystique et piété affective. Les dominicains, de leur côté, enrichissent considérablement l’homilétique pascale, développant des cycles de sermons qui structurent la catéchèse de la Passion.

L’influence des ordres mendiants s’étend également à la musique liturgique de la Semaine sainte. Les compositeurs franciscains et dominicains créent de nouvelles séquences et de nouveaux répons pour les offices pascaux, enrichissant considérablement le répertoire musical de cette période liturgique. Ces innovations musicales se diffusent rapidement dans l’ensemble de l’Église occidentale, contribuant à l’unification progressive des pratiques liturgiques de la Semaine sainte.

Mutations baroques et contre-réforme des pratiques dévotionnelles

L’époque baroque (XVIe-XVIIIe siècles) marque une révolution dans les pratiques dévotionnelles de la Semaine sainte, sous l’impulsion de la Contre-Réforme catholique et du renouveau artistique qui caractérise cette période. L’Église catholique, confrontée au défi de la Réforme protestante, développe une pastorale de la sensibilité qui transforme radicalement l’esthétique et la théologie des célébrations pascales. Cette mutation s’accompagne d’un épanouissement artistique exceptionnel, qui place l’art au service de la catéchèse et de l’édification spirituelle.

Les décrets du concile de Trente (1545-1563) codifient strictement les pratiques liturgiques tout en encourageant les innovations dévotionnelles conformes à l’orthodoxie catholique. Cette double exigence – orthodoxie doctrinale et créativité pastorale – stimule l’émergence de nouvelles formes de célébration de la Semaine sainte, particulièrement spectaculaires dans les pays méditerranéens restés fidèles à Rome. L’art baroque devient l’expression privilégiée de cette spiritualité renouvelée, créant un langage visuel d’une puissance émotionnelle inédite.

Théâtralisation espagnole des pasos et innovations sévillanes

L’Espagne de la Contre-Réforme développe une tradition processionnelle d’une magnificence exceptionnelle, dont les pasos sévillans constituent l’expression la plus aboutie. Ces sculptures processionnelles, œuvres de grands maîtres comme Juan Martínez Montañés et Pedro Roldán, transforment les processions pascales en véritables galeries d’art ambulantes. La confrérie de la Macarena et celle de l’Esperanza de Triana rivalisent dans la somptuosité de leurs pasos, créant une émulation artistique qui élève les célébrations pascales au rang de phénomène culturel majeur.

La théâtralisation espagnole des processions pascales intègre des éléments dramaturgiques sophistiqués : jeux de lumière avec les cierges et les lanternes, musiques spécialement composées pour chaque confrérie, chorégraphies processionnelles codifiées avec une précision quasi-militaire. Les saetas, chants flamencos improvisés durant les processions, ajoutent une dimension d’émotion populaire authentique à ces célébrations d’une grandeur baroque saisissante.

L’influence du modèle sévillan s’étend rapidement à l’ensemble de l’Espagne et de ses territoires d’outre-mer, créant un style hispanique de célébration de la Semaine sainte qui perdure encore aujourd’hui. Les processions de Valladolid, Zamora et Murcie développent leurs propres traditions iconographiques, enrichissant le patrimoine artistique et dévotionnel de l’Espagne catholique. Cette créativité baroque transforme la Semaine sainte espagnole en véritable laboratoire de l’art sacré européen.

Codification tridentine des cérémonies liturgiques de la semaine sainte

Le concile de Trente entreprend une codification rigoureuse des cérémonies liturgiques de la Semaine sainte, visant à éliminer les abus et les superstitions qui s’étaient développés au cours du Moyen Âge tardif. Le Missale Romanum de Pie V (1570) fixe définitivement l’ordo des célébrations pascales, imposant une uniformité liturgique stricte dans l’ensemble de l’Église latine. Cette réforme liturgique s’accompagne d’un effort considérable de formation du clergé, garantissant une application fidèle des prescriptions tridentines.

La Congrégation des Rites, créée par Sixte V en 1588, veille scrupuleusement à l’application des normes liturgiques tridentines. Ses décrets et réponses clarifient progressivement tous les aspects des célébrations pascales, depuis les rubriques les plus techniques jusqu’aux questions de préséance cérémonielle. Cette institutionnalisation de la liturgie confère aux célébrations de la Semaine sainte une solennité officielle qui renforce leur impact pastoral et leur portée symbolique.

La codification tridentine n’empêche pas le développement de traditions locales conformes à l’esprit de la réforme catholique. Les évêques peuvent autoriser des pratiques dévotionnelles particulières, pourvu qu’elles respectent l’orthodoxie doctrinale et la dignité liturgique prescrites par le concile. Cette souplesse pastorale permet l’épanouissement de traditions régionales remarquables, particulièrement dans les territoires de mission où l’inculturation des célébrations pascales révèle une créativité théologique et artistique exceptionnelle.

Essor des chemins de croix et spiritualité franciscaine post-tridentine

L’ordre franciscain connaît un renouveau spirituel remarquable après le concile de Trente, se traduisant par un développement considérable de la dévotion au chemin de croix durant la Semaine sainte. Les franciscains obtiennent du Saint-Siège des privilèges particuliers pour l’érection de chemins de croix dans leurs églises et monastères, diffusant cette pratique dévotionnelle dans l’ensemble de la chrétienté catholique. Saint Léonard de Port-Maurice devient le grand promoteur de cette dévotion, érigeant plus de 570 chemins de croix à travers l’Europe.

La spiritualité franciscaine post-tridentine développe une théologie de la compassion qui transforme profondément la perception populaire de la Passion. Les méditations de saint Alphonse de Liguori et les exercices spirituels franciscains mettent l’accent sur la participation affective aux souffrances du Christ, créant une piété passionnelle d’une intensité émotionnelle remarquable. Cette spiritualité influence directement l’art religieux de l’époque, inspirant les œuvres de Zurbarán, Ribera et Murillo.

L’expansion missionnaire franciscaine diffuse la pratique du chemin de croix dans les territoires d’évangélisation, particulièrement en Amérique latine et en Asie. Cette universalisation de la dévotion franciscaine contribue à l’émergence d’un catholicisme mondial unifié dans ses pratiques dévotionnelles, tout en s’enrichissant des apports culturels locaux. Les chemins de croix philippins, mexicains ou brésiliens témoignent de cette remarquable capacité d’adaptation de la spiritualité franciscaine aux contextes culturels les plus divers.

Influence jésuite sur la dévotion au Sacré-Cœur durant le triduum

La Compagnie de Jésus révolutionne la spiritualité de la Semaine sainte en promouvant la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, particulièrement développée à partir des révélations de sainte Marguerite-Marie Alacoque à Paray-le-Monial. Cette dévotion transforme profondément la théologie de la Passion, mettant l’accent sur l’amour rédempteur du Christ plutôt que sur ses seules souffrances. Les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola fournissent une méthode de méditation systématique des mystères pascaux, influençant durablement la pédagogie spirituelle catholique.

Les jésuites développent une pastorale de la Semaine sainte particulièrement adaptée aux élites urbaines et aux cours européennes. Leurs prédications pascales, d’une rhétorique raffinée et d’une érudition théologique remarquable, transforment les offices de la Semaine sainte en véritables événements intellectuels et mondains. Cette élévation du niveau culturel des célébrations pascales contribue à leur prestige social et à leur rayonnement artistique.

L’influence jésuite s’étend également au domaine musical, avec le développement d’un répertoire polyphonique